En août 2019, l’Allures 44 Opale franchissait le passage du Nord-Ouest. Le succès rencontré sur cette route de 4500 milles constitue l’aboutissement d’années de passion pour la navigation dans le grand Nord chez Marc Pédeau et Bénédicte Michel, les discrets auteurs de cette performance. Avant d’aborder plus en détail le récit de cette traversée, évoquons tout d’abord la conquête de ce fameux passage, doté d’un statut mythique dans l’histoire de la navigation. Suite de l’article n°1

Il ne vient à l’esprit de personne ici de comparer les mérites et les trajectoires d’explorateurs des siècles passés, pour la plupart restés célèbres — ne serait-ce que parce que leurs noms ou ceux de leurs embarcations se retrouvent fréquemment sur les cartes géographiques des territoires du grand Nord — et par ailleurs à la tête d’expéditions officielles fortement soutenues et financées par des états ou de puissants armements, avec le projet contemporain de navigation de plaisance, modeste mais bien mené, d’un ingénieur des télécommunications qui, jeune retraité, voit enfin la possibilité d’accomplir avec ses proches un rêve arctique qui l’habite depuis des années. 

Il va de soi que l’essor de la navigation de plaisance à partir du XXe siècle, mais aussi le renforcement considérable des moyens de communication et de localisation, tout comme le déploiement de services d’observation et de prévision météorologique et glaciaire, ont rendu cette traversée beaucoup plus praticable en 2019 qu’à l’époque glorieuse — et nous l’avons vu, quelque peu maudite — des grands découvreurs.
Et si, fort de tout cela, nous ajoutons les effets très nettement perceptibles du réchauffement climatique sur les niveaux d’emprise glaciaire, avec une disparition scientifiquement attestée et fortement documentée par ailleurs de la banquise arctique (voir note en bas de page), nous ne pouvons qu’aboutir à la conclusion que cet exploit n’en est pas un, et que le succès d’Opale n’a finalement rien d’extraordinaire. Et pourtant.

Le profil très discret de Marc Pédeau dissimule une personnalité forte, chez qui la détermination s’associe à la compétence sans qu’il éprouve le besoin d’en faire étalage. Disons que notre homme n’est pas du genre à donner des leçons et à vanter ses faits et gestes, mais plutôt à partager son expérience avec un mélange de générosité, de précision et de retenue. S’il n’est pas rare d’observer chez certains plaisanciers un attrait pour la navigation à voile en tant que telle, plus que pour les destinations qu’elle permet de viser, il nous semble que Marc Pédeau, lui, oscille entre ces deux tendances. D’un côté, dit-il, “j’aime la technique de voile, j’adore la navigation, le réglage du bateau, la capacité à le faire avancer au mieux de ses possibilités”.
De l’autre, il déclare avoir toujours éprouvé “une forte attirance pour les contrées boréales”, et a très vite eu la conviction qu’un voilier sainement conçu et prudemment mené était le moyen idéal pour satisfaire ses envies de découvertes des latitudes septentrionales. 

Quarante ans de navigation en mode associatif auprès des bénévoles du Groupe international de croisière (gic-voile.fr) ont conduit Marc et sa compagne Bénédicte vers les côtes de Norvège, d’Islande, du Spitzberg et du Groenland – excusez du peu. Cette solide expérience de navigation a ensuite joué un rôle central, lorsqu’il s’est agi, la retraite venue, d’acquérir un bateau et de se lancer pour cette expédition, but ultime pour un passionné tout à la fois de voile et de hautes latitudes.

Précisons que ce tropisme septentrional se double chez Marc d’un attrait pour la dimension culturelle du grand Nord, qu’il qualifie lui-même de “mythique”. Lecteur en son temps du géographe et explorateur Jean Malaurie, il est conscient de la relation étroite qu’entretiennent les Inuits avec leur environnement, ainsi que de la fragilité croissante du monde arctique du fait du réchauffement climatique.

Attentif au monde qui l’entoure mais surtout passionné de navigation, Marc fut également lecteur, dès ses vingt ans, du navigateur néerlandais Willy de Roos qui, en 1977, a été le premier plaisancier moderne à boucler le passage du Nord-Ouest. Route que de Roos effectua en solitaire et en une seule saison, à bord de son cotre en acier de 13 mètres Williwaw. Et tout porte à croire que la parution, en 1979, du livre de Willy de Roos, “Le Passage du Nord-Ouest : du Groenland au détroit de Béring”, dans la collection “Arthaud mer. Récits et aventures” qui garnit toute bibliothèque marine digne de ce nom, eut sur Marc un effet décisif, bien qu’agissant sur le long terme.

Toutes ces raisons expliquent en quoi tenter le passage du Nord-Ouest sur son propre voilier a paru un projet logique à Marc Pédeau, qui déclare : “Cette route mythique représente un itinéraire ultime, un aboutissement par rapport à la notion même de navigation dans le grand Nord, à laquelle nous avions déjà consacré pas mal de temps avec Bénédicte, entre Spitzberg, Islande et Groenland. Ce projet nous paraissait somme toute plus accessible que l’Antarctique, avec aussi la perception que nous croiserions beaucoup moins de monde aux abords du Nunavut qu’en Patagonie.”

Note Certaines projections indiquent que la fonte de la glace, plus ou moins rapide selon les secteurs, rend crédible la possibilité d’un passage du Nord-Ouest totalement libre de glaces, pendant 2 à 4 mois, l’été, autour de 2100 (Arctic Council, 2009 : 27).
NWP MarcPedeau map FR

Note : les différents éléments géographiques mentionnés dans ce texte figurent sur la carte reproduite ci-dessus, dont une version grand format est consultable ici

Suite de cette série :
L’Allures 44 Opale a franchi le passage du Nord-Ouest : 3/5 — Les conditions de la réussite