Hervé et Mélanie Potez sont partis pour trois belles années autour du monde sur leur Allures 45 Myriades. Avec la Terre de Feu à portée d’étrave, ils nous livrent un témoignage sincère et empreint de philosophie sur le temps qui passe, notre relation aux autres, à notre planète : autant de liens auxquels la navigation redonne leur importance.

Janvier 2020, Argentine, Mar Del Plata, 37 degrés Sud – Dans l’hémisphère Nord nous serions en hiver à la latitude de Séville. Ici c’est l’été, journées chaudes, et c’est surtout la dernière escale majeure avant la Terre de Feu, où nous prévoyons d’arriver fin janvier. Nous avons hâte d’y être maintenant. Laisser derrière nous les soucis ayant un peu retardé notre progression, et mieux profiter de cette parenthèse de trois ans autour du monde, dont nous rêvions depuis si longtemps. Bientôt 18 mois que nous sommes partis, et beaucoup d’éléments se bousculent au moment de les évoquer.

Comment tout cela a commencé ? Dans la tête d’Hervé… Petit déjà, il naviguait dans le Sud de la France, écumait les plans d’eau, sur le navire paternel comme en régate, déjà amoureux de la belle voile. Quant à Mélanie, elle est presque née sur un bateau, au bord du lac Léman, tout en savourant les étés au bord de l’Atlantique. Alors pour nous, l’eau est un environnement presque plus naturel que la terre. C’est dire si le projet a rapidement été partagé, avec enthousiasme et dans toutes ses dimensions.

Ce qui nous a poussés à mettre le projet en œuvre ? L’envie de faire un break avec le monde du travail, qui nous a pourtant donné énormément de satisfactions, mais rester dans le moule ‘corporate’ avait de moins en moins de sens pour nous. Le besoin de nous ressourcer et de découvrir autre chose, de reprendre les rênes de notre vie était devenu vital. Avant d’entamer probablement une deuxième carrière à notre retour ; dans quelle direction ? nous verrons au fil de notre voyage ce que nous aurons envie d’écrire comme prochain chapitre.

On a géré les préparatifs du voyage à deux, chacun à notre rythme, dans des dimensions similaires et différentes tout à la fois. Il a tout de même fallu passer le pas, rester attentifs à un certain alignement des planètes. Nos parents ? Ils sont encore en bonne forme pour ne pas avoir besoin de nous autrement que pour le plaisir de se voir. Nos enfants ? Nous avons eu la joie de les accueillir tôt dans notre vie, alors à la vingtaine passée, plongés dans leurs études supérieures, ils sont devenus autonomes. Attention, autonomes ne signifie pas du tout indépendants, et les outils de communication modernes sont pour nous tous un moyen de vivre notre voyage de manière très douce, sans vraiment couper les ponts. Parfois les appels concernent une simple recette de cuisine (sourires) ; le plaisir de nous retrouver par téléphone ou en vidéo vient régulièrement apporter un énorme rayon de soleil supplémentaire, dans nos journées déjà très chouettes. Pour nous les outils informatiques sont nécessaires et plaisants, c’est notre sécurité, c’est notre « fil d’Ariane ». Et parfois ce lien devient paradoxal, puisqu’en offrant la possibilité d’être en relation permanente aux autres, on n’expérimente pas suffisamment la relation à soi, et on n’explore pas assez notre propre intériorité. Le grand Sud va nous donner l’occasion de prendre ce recul. Au-delà d’Ushuaïa, nous serons seuls sur notre bateau, dans l’exploration de ce monde si peu fréquenté, à vivre entre terre et mer, entre ciel et vent, loin de tout.

Nous sommes partis en août 2018, après trois ans de préparatifs intensifs, entre achat du bateau, sa préparation technique (sécurité, confort à bord, outils de pilotage et de communication…) et la nôtre (navigation, permis hauturier, mécanique, électricité, autonomie médicale…) avec de belles échappées nautiques estivales histoire de tout tester, mettre à notre main, rencontrer, échanger, lire, apprendre, comparer les prévisions météo et la météo éprouvée sur le terrain… En ce domaine, et heureusement, les outils actuels sont très rassurants. Si nous avons déjà eu 50 nœuds au mouillage, nous n’avons jamais eu de gros temps, rarement plus de 35 nœuds en mer. Pourvu que cela dure… Car partir trois ans, sur les traces de Magellan, de la Méditerranée à la Nouvelle Calédonie en passant par le Cap Horn n’est pas anodin. Cela commence par descendre sur les Canaries puis le Cap Vert pour aborder la traversée de l’Atlantique, avec des nuits incroyables, magiques. Un Atlantique complètement différent de ce nous anticipions… nous avons vécu des calmes absolus, pendant lesquels la mer se faisait miroir, se confondant avec le ciel, nous offrant sérénité et plénitude. L’impression de faire le vide en soi, tout en faisant le plein de vie. Nous n’oublierons jamais ces bains au milieu de… rien, avec 5 000 mètres d’eau cristalline sous les pieds ! Quelques grains quand-même, magnifiques nuages roulant sur l’horizon, nous apportant ses seaux de pluie et ses gros courants d’air… Puis l’arrivée sur un autre continent, la rencontre d’une culture tellement différente de la nôtre, nos déambulations dans les rues de Salvador de Bahia, notre escapade dans la jungle brésilienne, la découverte d’une Rio tellement bigarrée… avant de découvrir l’Uruguay puis l’Argentine. Que de souvenirs hauts en couleur !

Alors que nous naviguons le plus souvent tous les deux, pour notre première grande traversée nous avons embarqué deux équipiers totalement inconnus et avec qui, pour faire mentir l’adage, tout s’est parfaitement déroulé. Seul le rythme des quarts s’en est trouvé chamboulé, ou plutôt fixé. Car quand nous sommes tous les deux, flexibilité est le maître mot. En navigation nous avons vite recommencé à « nous croiser la nuit », une fois notre binôme reconstitué. Sans quarts fixes, chacun se repose quand il en ressent le besoin. Toujours en confiance, les sens et l’habitude font cependant que nous ne dormons jamais que d’une oreille. La moindre variation de gîte, de vitesse ou même de lumière, met immédiatement Hervé en alerte, et il rejoint bien souvent le pont, devançant une potentielle demande d’aide.

Depuis notre départ le temps s’est comme distordu. Court et long à la fois. Les journées passent trop vite et certaines heures sont immensément longues. Trop courtes, les escales, les visites, les rencontres, les voyages vers l’intérieur. Étonamment longues sont les démarches dans chaque pays, la maintenance du bateau (c’est fou, il y a toujours un truc à faire sur ces voiliers !), la recherche de pièces, voire d’outillage. Heureusement, la bienveillance et l’entraide sont évidentes entre navigateurs partageant la même passion, et cela facilite beaucoup les choses quand on se retrouve dans des coins improbables, perdus au bout du monde. Nous sommes presque toujours les plus jeunes dans cette communauté peuplée principalement de retraités, et nous faisons de très belles et joyeuses rencontres. On parle tous le « même langage » et cela facilite grandement les relations. Délicieusement long est le temps des navigations, les moments entre nous. Nous apprenons à vivre ensemble 24/7, ce qui n’était jamais arrivé dans la ‘vraie vie’ en fait. À nous écouter, y compris dans nos silences, à ralentir notre rythme, à nous soutenir mutuellement dans les moments difficiles, à nous adapter aux besoins de l’un(e) et de l’autre. Nous progressons chaque jour un peu plus dans la patience et le lâcher prise. Un jour nous y arriverons, peut-être, vraiment, c’est sûr, on l’espère !

Le fait d’être en connexion directe avec notre environnement, proches de la nature, est à double tranchant. À la fois éminemment ressourçant et parfois désespérant quand nous constatons les dégradations que l’homme fait subir à la planète. À notre niveau, nous faisons le plus attention possible, conscients de n’être que de petits colibris tentant d’éteindre l’incendie de forêt avec des gouttes d’eau. Mais, conformément à la parabole, nous faisons notre part.

En attendant, nous sommes bien conscients que ce temps que nous prenons est un cadeau inestimable que nous nous offrons. La terre reste magnifique, la nature et les gens merveilleux. Nous aurions eu bien tort d’attendre plus longtemps pour partir.

Au-delà du détroit de Magellan nous attendent Ushuaïa, le Cap Horn qui nous tente aussi – nous verrons si les éléments nous permettront de le contourner – puis les canaux chiliens pour remonter jusqu’à Puerto Montt, avant de mettre cap plein ouest, pour espérer débarquer à l’île de Pâques. Puis, après de longues semaines de mer, les Gambiers, les Marquises, la Polynésie, Tonga, les Fidji, Vanuatu et enfin la Nouvelle Calédonie. Des myriades de délicieux moments à venir, à partager, à vivre. C’est notre programme et c’est le nom de notre beau voilier : Myriades.

 

 

EDIT – 14 février 2020 : Myriades a contourné le Cap Horn! Visitez le blog myriades.ch !

Myriades tente le Horn