Expériences

L’Allures 44 Opale a franchi le passage du Nord-Ouest : 3/5 — Les conditions de la réussite

En août 2019, l’Allures 44 Opale franchissait le passage du Nord-Ouest. Le succès rencontré sur cette route de 4500 milles constitue l’aboutissement d’années de passion pour la navigation dans le grand Nord chez Marc Pédeau et Bénédicte Michel, les discrets auteurs de cette performance. Avant d’aborder plus en détail le récit de cette traversée, évoquons tout d’abord la conquête de ce fameux passage, doté d’un statut mythique dans l’histoire de la navigation. Suite des articles numéro 1 et numéro 2.

Quel voilier choisir ?

Les motivations de Marc Pédeau et Bénédicte Michel à tenter le passage du Nord-Ouest étaient, nous l’avons vu, solidement ancrées plusieurs années avant qu’ils ne tentent l’aventure. Et pour eux, le moment est venu nous sommes alors en 2014 de choisir un bateau. Deux éléments clés figuraient au cahier des charges d’acquisition de ce voilier, sélectionné avec soin parmi les occasions proposées par différents spécialistes : “Le matériau de construction devait être l’aluminium ; cela a été un choix tout à fait spontané, pour des questions élémentaires de sécurité et de résistance mécanique face à l’éventualité, toujours à prendre en compte, de frottements importants voire d’un impact violent avec la glace. De même, nous recherchions un dériveur intégral, pour pouvoir nous abriter au fond des mouillages et être le mieux protégés possible en cas de mauvais temps, voire si un coup de vent catabatique survient.” Résultante de ce processus, Marc et Bénédicte acquièrent Opale, un Allures 44 d’occasion, construit en 2011 et portant le n° de coque 43 de cette série née en 2003 avec les débuts du chantier Allures Yachting : “Le dernier des Allures 44”, précise Marc et il est vrai que ce modèle fut après 2011 remplacé par le Allures 45.

Une fois résolue cette question cruciale du choix du voilier, et sans nous apesantir sur les étapes de préparation technique d’un Allures aux conditions de grand froid, reste à décider du calendrier global du projet et donc d’une date de départ, facteur clé quant au succès de l’opération.

Quand partir ?

“Un point décisif pour la réussite de l’entreprise est de prévoir une durée globale importante, avec au moins deux mois et demi à trois mois de disponibilité, calée sur la fin de l’été en hémisphère nord. Ainsi, nous avons appareillé le 1er juillet de Nuuk, et sommes arrivés le 22 septembre à Sand Point.

Il faut surtout considérer qu’aller au Groenland est une navigation en soi, qui peut prendre plusieurs semaines d’une traversée exigeante pour l’équipage d’un bateau qui partirait de France, et que, à l’autre extrémité, le fait de laisser le bateau en Alaska, comme nous l’avons fait à Sand Point, ne s’improvise pas, loin de là.

Notre chance est que, étant à la retraite, nous avons du temps ; ainsi, en juin 2018, nous étions au Cap Vert, à Noël 2018 en Martinique, nous avons passé 3 mois aux Caraïbes et à Cuba, puis avons atteint la côte est des USA à fin mars 2019 et, de là, avons entrepris le passage du Nord-Ouest”.

Pour ce qui concerne cette tentative, l’année précédente, le passage était resté fermé, un voiler a même coulé à l’entrée de Bellot Strait, pris par des glaces et dérivant très rapidement à cause du courant très fort dans le détroit ; les deux marins ont dû être sauvés par hélicoptère. En 2019, nous sommes passés par le Peel Sound au sud de Resolute Bay et non par Bellot Strait, qui, cette année ne s’est pas ouvert avant le Peel Sound contrairement à ce qui arrive le plus souvent. Début juin, nous avons quitté St Pierre-et-Miquelon ; le 1er juillet, nous étions à Nuuk, capitale du Groenland. L’important est d’être clair avec l’idée qu’il faut partir, mais en restant conscient que rien n’est garanti. On s’était donné une date limite pour voir si cela s’ouvre dans la zone dure : nous avons fixé cette date couperet au 18 août 2019, à peu près comme l’avait fait Jimmy Cornell en 2015 à bord de son Garcia, après une première tentative infructueuse. Et nous sommes passés !”

“Dans Le Lancaster Sound, la glace s’ouvre au fur et à mesure depuis l’est vers Resolute Bay à l’ouest à partir de début août jusqu’à mi-août, et ensuite elle s’ouvre soit vers Regent Inlet jusqu’à Bellot Strait, soit par le Peel Sound. Le vrai cœur du passage, entre Bellot Strait et jusqu’à Cambridge Bay, s’ouvre en principe autour de mi-août - ça peut être le 8 comme le 12 voire le 20 août ou encore plus tard. Nous sommes partis de Burnett Inlett, dans Lancaster Sound, le 12 août, nous avons fait route sans nous arrêter de manière à n’être pas coincés par les glaces, nous sommes passés par Peel Sound, et sommes arrivés à Cambridge Bay le 18 août, soit 6 jours de navigation intensive et de veille pour franchir la zone clé.”

Ce calendrier d’expédition “type” semble représenter une base valable pour l’ensemble des tentatives de passage du Nord-Ouest auréolées de succès ces dernières années. Il était aussi celui choisi par des équipages qui ont dû renoncer, comme ceux qui ont programmé leur tentative l’été 2018, année où la glace ne s’est pas ouverte.

Reste à savoir si ces dates théoriques seront sujettes à des bouleversements avec la question du réchauffement climatique. Marc Pédeau : “Le réchauffement climatique joue certes un rôle de manière globale : il est établi que le volume global de la banquise baisse régulièrement sur le moyen terme (l’année 2020 est d’ailleurs la seconde année avec le moins de banquise autour du pôle depuis que ces données sont étudiées), et cela tend à augmenter les chances de pouvoir passer, mais s’y surajoutent des phénomènes météo locaux, comme des dépressions qui cassent de la glace et donc favorisent la fonte, ou au contraire déplacent le pack et peuvent localement boucher toute issue vers l’ouest. La nature commande, il est primordial de ne pas l’oublier.”

“Et donc il faut partir en se disant que rien ne garantit le succès, puis envisager des scénarii de repli si la zone dure ne s’ouvre pas. Par exemple en 2019, dans ces hypothèses alternatives, une des options était de viser la baie d’Hudson, accessible par un passage très étroit, le Fury and Hecla Strait que nous n’avons finalement pas eu besoin de rechercher (le même passage que, en son temps, William Baffin ne parvint pas à trouver) !

C’est pourquoi il faut tenter, espérer que ça s’ouvre, ne pas se poser de question, en se disant que ces routes de repli sont elles aussi des navigations hors norme, même si tu ne peux dans ce cas prétendre avoir franchi le passage du Nord-Ouest proprement dit. Il faut aussi, c’est très important, se donner impérativement une deadline pas trop tardive car si ensuite tu arrives trop tard dans la saison en mer de Béring, cela peut être dangereux.”

Quel équipage ?

“Nous voulions faire le passage en équipage pour pouvoir avoir la possibilité de nous relayer, ce qui dans le cas contraire aurait été très éprouvant dans une telle zone en naviguant à deux. J’alternais la direction des quarts de 4h avec un ami très expérimenté et ayant déjà navigué dans les glaces. Les autres membres de l’équipage alternaient en quart fixe entre Saint-Pierre et Miquelon et Pont Inlet (nous étions six) et en quart tournant entre Pont Inlet et Nome (5 personnes à bord).

Note : les différents éléments géographiques mentionnés dans ce texte figurent sur la carte reproduite ci-dessus, dont une version grand format est consultable ici

Suite à venir :L’Allures 44 Opale a franchi le passage du Nord-Ouest : 4/5 — De la notion de risque en navigation

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