Illimité, un tour du monde sur la durée
Bien qu’Américain, Gary a souhaité donner un nom français à son Allures 45 : Illimité. Un nom particulièrement bien choisi, en accord avec son programme de navigation et sa véritable philosophie de vie. Suivre la route de ses envies, écouter ses intuitions, provoquer les rencontres. Toujours à la recherche des plus beaux spots de plongée, il fait l’éloge de la lenteur et de l’adaptation.

Gary, d'où vous vient ce projet de tour du monde
J’ai passé une partie de ma jeunesse dans les Keys en Floride à naviguer et à plonger. C’est là que j’ai décidé que je prendrai ma retraite à 55 ans et vivrai à bord d’un voilier. J’ai beaucoup lu de récits de voyages, parlant de rencontres, de cultures formidables, de plongée, de pêche, de pays lointains, et bien sûr de navigation. Qu’est-ce qu’on pourrait ne pas aimer là-dedans ? J’avais l’habitude de dire que j’allais établir le record de lenteur autour du monde !
Comment vous-êtes-vous préparé pour ce long voyage ?
On pourrait dire que la préparation a débuté dans ma jeunesse. Je savais que je devais choisir une profession qui me permettrait d’économiser assez d’argent pour me permettre de prendre ma retraite à 55 ans – j’ai pensé que 55 ans était réaliste financièrement et suffisamment jeune pour avoir la forme physique nécessaire – et ai fini par devenir chirurgien. C’est un métier que j’ai vraiment aimé, mais il y avait toujours dans un coin de ma tête cet objectif à long terme. La véritable préparation a débuté environ 10 ans avant l’achat du bateau. Je n’avais pas beaucoup d’expérience de navigation car j’avais travaillé tellement dur. J’ai donc effectué un stage de 10 jours dans les Iles Vierges Britanniques. J’y ai passé trois certificats qui m’ont alors permis de louer des bateaux. J’ai commencé à louer une ou deux fois par an des voiliers pour acquérir plus d’expérience. J’ai également commencé un fichier de toutes les caractéristiques qui étaient importantes sur un bateau.
Je pense que la lecture des livres de Jimmy Cornell m’a convaincu des avantages des coques aluminium et des voiliers à dériveur intégral.
Puis, un an avant la retraite, je me suis inscrit chez Mahina Tiare Expéditions, avec cinq autres personnes, pour une traversée d’Hawaï à Prince Rupert au Canada. Le but était d’acquérir plus d’expérience du large et avoir une traversée océanique homologuée pour ma future compagnie d’assurance.
Pouvez-vous nous présenter l'équipage d'Illimité ?
Les deux premières années, des amis navigateurs expérimentés se joignaient toujours à moi pour les traversées océaniques ou les longs convoyages. J’ai fait quelques petites navigations en solitaire, mais toujours de moins de 24h, conformément à ma police d’assurance. Je me mettais alors hors-quart, ou seulement sur de toutes petites périodes, mais demandais à être impliqué dans tout changement de voile ou tout autre évènement qui pouvait survenir. De même, comme j’avais réalisé l’avitaillement du bateau, je savais ce que nous avions à bord et où c’était, donc je faisais la cuisine. Puis, en août 2017, j’ai été rejoint aux Tonga par ma compagne, Noëlle, que j’avais rencontré plus tôt dans l’année en Floride. Elle avait déjà effectué quelques semaines de navigation avec moi au Panama en guise de test. Depuis qu’elle m’a rejoint, je n’ai pas eu besoin d’autres équipiers. Nous effectuons des quarts de 3 heures la nuit mais sommes très souples le jour.
Justement, quel rythme avez-vous en navigation ?
Noëlle n’aime pas se coucher après dîner, alors, après que j’ai fini la vaisselle, je me couche à 20h et nous commençons nos quarts de 3 heures. Cela me permet de commencer le dernier quart de 5h du matin, heure à laquelle je sors le sextant et je mets les lignes de pêche à l’eau. Je laisse Noëlle dormir jusqu’à ce qu’elle se lève, puis je fais une bonne sieste à un moment, qui peut varier, dans la journée. Le jour, je télécharge généralement les fichiers météo et envoie notre position de midi si nous utilisons un service de routage. Nous prenons notre petit-déjeuner et notre déjeuner séparément, mais Noëlle prépare toujours un super dîner.
Hors navigations, comment se déroulent vos journées ?
L’entretien du bateau, le nettoyage, la météo, la navigation, et l’avitaillement prennent énormément de temps. J’occupe quelques moments de libre avec de la lecture. J’ai souvent un livre électronique sur l’iPad et un livre papier en cours en même temps. Je dirais que mon vrai passe-temps c’est la photographie sous-marine. Ce qui va bien avec la plongée. J’ai une base de plus de 750 photos qui augmente à chaque plongée. J’essaie aussi de mettre à jour mon blog chaque semaine sur svillimite.substack.com. Un autre loisir quand nous sommes en mer, je m’essaie à la navigation électronique avant chaque lever de soleil. C’est très satisfaisant quand j’arrive à seulement quelques miles de la position GPS avec un alignement d’étoiles ou de planètes.
Quel était votre programme à l'origine ?
Mon programme initial était de plutôt faire un tour du monde assez direct, suivi d’un autre suivant une route plus aléatoire. J’ai à peu près collé au plan jusqu’à ce que nous atteignions l’Australie et que Noelle demande si nous pouvions monter en Thaïlande. Je lui ai dit que non, car nous étions un peu tard en saison pour la mousson. Mais vous savez comment les femmes peuvent être persuasives, alors nous avons accéléré un peu, attrapé une queue de mousson correct et avons atteint la Thaïlande, les îles Andaman en Inde. Nous avions initialement prévu de nous diriger vers Bali et de continuer notre circumnavigation mais nous avons fait demi-tour vers l’Est, et nous profitons actuellement de superbes plongées à Raja Ampat, Indonésie. Après plus d’un an dans la chaleur moite du Sud-Est asiatique, Noëlle dit qu’elle souhaite un peu de fraîcheur. Alors nous prévoyons maintenant de nous diriger vers l’Alaska.

Des surprises sur la route ?
Plein ! Mais je dirais que ma plus grande surprise a été mon émotion initiale. On pourrait penser qu’en atterrissant à Cherbourg pour prendre livraison du bateau de mes rêves en Mai 2015, après des décennies de planification et de préparation je sauterais de joie, tout excité. En réalité, avec tous les changements que j’avais à gérer en même temps, j’ai été un peu naïf de ne pas anticiper une petite déprime. Heureusement, après environ une semaine et mon premier voyage en solo vers Aurigny, sur mon nouvel Allures 45, ce sentiment avait pratiquement complètement disparu.
Avez-vous fait beaucoup de rencontres jusqu'à maintenant ?
Je dois dire que les moments forts de la croisière ce sont les personnes que l’on rencontre. Déjà, il y a plein de navigateurs formidables. Nous en avons rencontré de toutes nationalités et certains sont devenus des amis très proches avec qui nous sommes restés en contact. Les gens sur place peuvent aussi être incroyables. Surtout quand vous sortez des sentiers battus. Tellement de gens arrêtent ce qu’ils font pour vous aider ou pour vous faire découvrir leur pays. Ici, en Indonésie, il n’est pas rare de voir plusieurs pirogues avec des enfants pagayant vers vous et demandant à monter à bord. Bien sûr ils veulent tous faire un selfie avec vous ! Quelquefois, l’histoire est incroyable. Nous avons désormais un très bon ami en Malaisie qui, au départ, nous a proposé de nous conduire rapidement à un magasin. Environ 12 heures plus tard nous terminions de visiter la région et de manger, sans qu’il n’accepte quoi que ce soit en échange. Alors que nous étions en Nouvelle-Zélande, des amis nous ont prêté leur pick-up pendant un mois pour nous balader.
La générosité des gens peut vraiment être extraordinaire.

Quelle est la suite du programme ?
Nous allons quitter l’Indonésie en Janvier, et mettre le cap sur l’Ouest de la Papouasie Nouvelle Guinée où nous espérons trouver de bons spots de plongée. Puis nous remontrons sur la Micronésie, Guam et le Japon. Après avoir contemplé les cerisiers en fleurs nous nous dirigerons vers l’Alaska pour pêcher le saumon. Puis descente vers le Mexique pour l’hiver avec plongées dans la mer de Cortez. Retour alors en Polynésie Française puis vers l’Australie. Nous devrions cette fois mettre cap au Sud, visiter la Tasmanie, et la Nouvelle-Zélande à nouveau. Enfin nous devrions pointer vers l’Ouest et l’Afrique du Sud. Je devais, selon le plan initial, être en Afrique du Sud en Décembre 2018 ; nous devrions y être au plus tôt en 2022, mais je suis sûr que ce planning va aussi changer. C’est l’une des choses que j’adore, nous changeons continuellement nos plans !
Quelques souvenirs indélébiles déjà ?
Oh oui, plein mais si aujourd’hui je devais en partager trois, je pense que ce seraient ceux-là. Un stressant, l’entrée dans le lagon de Samana Cay aux Bahamas, très étroite dans la barrière de corail, que je ne distinguais pas bien à cause des déferlantes dans plus de 20 nœuds de vent. J’étais en solitaire en plus et ne pensais pas la tenter, mais un ami sur un Oyster 46 venait juste de passer et de vérifier que la cartographie était conforme. Sachant que j’avais le bateau réputé le plus solide pour aller partout, comment aurais-je pu me défiler ? Je suis rentré sans problème… ouf ! Je me suis aussi fait une belle frayeur en Australie. Nous étions fatigués d’un mouillage rouleur au large de la côte Est, car le vent avait tourné, alors nous avons levé l’ancre avant le lever du jour. J’ai vite fait mis une route à suivre sur le traceur et nous voilà partis pour Magnetic Island. A un moment, ma plus jeune fille, qui était avec moi à ce moment-là, m’a demandé, vraiment l’air surprise, si c’était bien un rocher là, passant à côté de nous ? Je me suis retourné pour regarder, m’attendant à voir un dauphin, mais découvrant un rocher émergeant des vagues à moins de trois mètres ! J’avais tracé ma route en plein sur Salamander Reef, qui n’était qu’un point couvert par l’épaisseur du trait de route. Nous avons tous été prévenus des risques d’un zoom trop faible sur les cartes électroniques, et je n’aurais jamais pensé me faire avoir. Plus jamais ça !
Enfin, le plus magique sans doute : nous étions sur corps-mort à l’extérieur de Bait Reef, toujours en Australie, quand une baleine à bosse a fait surface et pris sa respiration à moins de 3 mètres de notre bord. Nous avions déjà vu quelques baleines, et Noëlle venait juste de dire que ça serait génial si l’une d’elles pouvait venir plus près de nous. Celle-là était un peu trop proche ! Noëlle n’a même pas pu prendre une bonne photo tellement elle a été surprise.
Les blogs de Gary et Noëlle (en anglais), passionnant et richement illustré, sont consultables ici.

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